Du mauvais côté de la mer

Une phrase qui résume à merveille l'histoire des pêcheurs tunisiens.

Voici l'article de Fawzia Zouari:

"Je finirai par donner raison à ma mère, qui ne cesse de répéter : « C’est fichu, le monde n’est plus le monde ! » Je vais devoir me résoudre à ce constat amer : nous avons définitivement quitté l’âge de la bravoure, de la chevalerie et des bonnes manières. Nous allons devoir rompre avec les traditions de nos anciens, zapper les contes de nos grands-mères, arracher ces pages d’histoire qui bruissent de récits d’aventures vécues par des personnages extraordinaires. Des vaillants qui, par exemple, se jetaient à l’eau ou dans les flammes pour sauver des victimes impuissantes.

Désormais, mieux vaut s’abstenir d’être un sauveur, de lever ne serait-ce que le petit doigt pour son prochain, au sens le plus chrétien du terme. L’affaire des pêcheurs tunisiens l’illustre. Voici des hommes qui, en d’autres temps, seraient devenus des héros et qu’on jette aujourd’hui en prison pour avoir secouru des femmes et des enfants au bord de la tahluqa, (péril), au sens le plus coranique du mot.
Vous êtes éberlués par le procès qui leur est fait ? Moi aussi. Et les marins inculpés le furent sans doute davantage le jour où on leur passa les menottes.
À eux aussi, il aurait fallu expliquer, comme le faisait ma mère, que oui, décidément, les temps ont changé, que la Méditerranée est devenue frontière, que l’Europe a serré sa ceinture de sécurité et que c’en est fini du code d’honneur des gens de mer - ce phare du cœur - qui faisait obligation à quiconque de porter secours à un naufragé, quelles que soient son origine ou sa provenance. Vous n’êtes plus des héros, vous êtes devenus des suspects. Vous, fils des plus grands pirates de Mare Nostrum, enfants d’illustres navigateurs, d’Elissa à Hannibal, on vous traite de vulgaires passeurs ! Non, vraiment, le monde n’est plus le monde !
Seriez-vous nés américains qu’Hollywood aurait fait de vous des héros ou des saints. Vous seriez passés en boucle sur CNN. Mais voilà, vous êtes nés du mauvais côté de la mer."